Être guidée et se laisser guidée n’était pas tâche facile, j’aurais aimé être un homme ! Et pourtant, une fois le lâcher prise, quel bonheur cette fluidité !
Je n’avais pas remarqué à quel point j’étais crispée, et cela n’avait rien à voir avec le genre de mes partenaires, homme ou femme…
Elle m’a dit tu sais marcher ? alors, tu sais danser, et hop, me voilà partie dans ses mains pour mon premier rock. C’est facile pour la fille, il faut suivre, c’est tout.
Sauf que j’ai voulu bien faire, ne pas décevoir, être à l’écoute au maximum, quel fiasco ! Toute la tension se ressentait dans mes bras, j’avais peur, mais de quoi au juste ?
A ma seconde danse, la personne manquait un peu de confiance, débutait aussi mais pas autant que moi, au point zéro, moi qui ne me laissais pas faire parce que je n’aimais pas cette proximité, quel comble ! J’étais venue pour danser, mais danser à deux était une toute autre affaire que danser toute seule !!
Je ris à l’ironie de mes sentiments qui me tiraillaient, j’étais l’antithèse en personne. Nous ne nous en sommes pas trop mal sortis mais l’invitation n’a pas été réitérée…
Le studio calfeutré par des rideaux épais anthracite ne dévoilait rien de l’extérieur. Je n’étais pas arrivée en avance mais j’avais perdu le stress qui me caractérisait avant, j’étais heureuse déjà d’y aller.
J’arrivais à pas feutrés, je connaissais l’endroit mais là, je ne connaîtrai rien. Dire que j’avais déjà dansé était mentir, quelques rocks à un mariage ou avec une amie ne faisait pas de moi une amateure débutante, mais cela était suffisant pour qu’intérieurement ce ne soit pas un terrain inconnu.
La porte, une fois franchie, donnait sur une toute autre ambiance, dehors, le temps était chargé, la pluie s’inviterait peut-être, la lumière déjà basse. J’entrais dans une autre époque, les hommes portaient des richelieu bicolores à leurs pieds, vêtus de costumes pour certains, petits gilets en tweed à carreaux et chemisettes, quelle élégance, je ne m’étais pas attendue à cela…
J’avais moi-même choisi une chemise blanche et un chino avec petites baskets mais j’étais loin de leurs looks soignés et apprêtés, cela témoignait de leur amour pour cette époque. L’atmosphère chaleureuse, aux lumières tamisées, j’étais arrivée dans le passé, années 40-50, période swing, les années de l’après-guerre, les années où il fallait absolument célébrer la joie de vivre.
La troisième danse, j’ai attendu longtemps avant que ce gentil monsieur ait eu pitié de moi, un petit coup de pouce de la dame avec qui j’échangeais sur l’apprentissage des codes. Qui invitait ? Les hommes ou les femmes ? Pourquoi les partenaires ne changeaient pas automatiquement ? Toutes ces questions qui semblaient désuètes pour les habitués…
Quelle douceur, il avait une telle joie de danser, sans forcer, sans chercher à. Lui, il incarnait la joie, je me suis immédiatement détendue. J’étais bien dans ses bras, il m’a montrée quelques petites astuces, ce fut grâce à lui que je compris que je n’aimais pas les autres bras qui entourent, les bras qui enserrent, ma nature sauvage se cabrait en moi à chaque paire qui m’étouffait. J’ai dû la rasséréner, la rassurer que tout allait bien, que ce n’était qu’une danse, qu’il n’y avait aucun danger.
La quatrième, le partenaire venait d’arriver et a traversé toute la salle pour venir m’inviter, il avait l’air d’être un expert, je me suis ratatinée à son contact mais j’ai tenu le rythme et la cadence élevée. C’était très scolaire, 1, 2, 3, 1, 2, 3 qu’il me répétait… ce n’était pas le calvaire et j’ai tenu bon… Je n’avais pas eu le choix, lui, me tenait fermement, aucun moyen de m’échapper… ou de feindre la fatigue…
Le professeur m’a offert une dernière danse où j’ai pu comprendre un peu les pas. Je suis repartie épuisée, mais tellement contente de cette expérience. Réaliser que le lien avec les autres n’était pas si facile, que feindre en surface et prétendre était aisé.
Lui, le professeur, était étonné que je débarque comme cela à un après-midi rock swing alors que je n’avais jamais pris de cours, il m’a trouvée courageuse, moi je me suis trouvée tout sauf courageuse. L’inconfort était ma zone de confort, c’était facile pour moi de sortir des sentiers battus. Rester dans le confort, par contre, était tout sauf confortable pour moi. Tout était inversé chez moi. Il fallait que je réapprenne tout, la confiance aux autres, le sentiment de sécurité parmi les êtres Humains.
Il me fallait tout réapprendre.
Je vous ai partagé un peu de mon expérience, j’ai participé à cet après-midi rock swing cet hiver, pour me confronter à mon envie d’apprendre cette danse “West Coast Swing”.
J’aime beaucoup cette nouvelle danse, fluide, sensuelle et avec beaucoup d’humour (pas vraiment visible sur cette vidéo).